The Legend of Kyrandia

On ne le dira jamais assez : l’âge d’or du pointer-cliquer dans les années 80-90 a vécu sous le spectre Sierra-LucasArts. Les petits joueurs tels que la britannique Revolution Software ou la française Coktel Vision ont virevolté entre les deux, piaillant les quelques miettes dégoulinant le long du menton du géant bicéphale.

À la marmaille s’est ajouté le studio américain Westwood. Ce développeur, reconnu principalement pour ses jeux de stratégie (notamment la saga Command & Conquer), a dévoilé entre 1992 et 1994 The Legend of Kyrandia, une trilogie parodiant l’univers de la fantaisie. 

Une histoire en trois actes.

Book One – Fables & Fiends

Sale temps à Kyrandia. Le bouffon Malcolm vient d’assassiner le roi et la reine. Ivre de pouvoir, il sème la terreur dans les quatre coins du royaume et décide de s’attaquer aux Mystics, les magiciens de la cour.

Qui osera se dresser sur son chemin? Peut-être Brandon, jeune habitant de la forêt et grand amateur de sandales. L’idée de braver un meurtrier ne l’enchante guère, mais il se doit d’essayer. Après tout, son grand papi est un Mystic lui aussi.

Ce premier pas dans Kyrandia rime avec dilettantisme. Le début est prometteur : des graphismes détaillés qui transpirent la nostalgie, un doublage relativement bien fait et une interface interactive classique. Mais très vite, cette sensation familière laissera sa place à un constant sentiment de frustration. Plus on avance dans l’intrigue, plus il est évident que l’on a affaire ici à une aventure broche à foin.

Pour commencer, l’inventaire est limité à dix cases. Rien de mal à modérer la quantité d’objets sur soi. Encore faut-il s’assurer que la conception des énigmes tienne compte de cette restriction afin d’éviter de nombreux va-et-vient. Ce qui n’est évidemment pas le cas dans Fables & Fiends. Certes, Kyrandia n’est pas très grande et contrecarrer les plans de Malcolm ne vous coûtera pas plus que quatre ou cinq heures. Il n’empêche qu’il faudra constamment garder un œil sur tout le bric-à-brac abandonné. C’est très mal pensé comme système. Les créateurs n’ont pas été assez futés pour réfléchir leurs casse-tête autrement que par la surexploitation des mêmes items.

Deuxième point noir : le labyrinthe. Dans la plus pure tradition des King’s Quest, Fables & Fiends nous invite à pénétrer dans l’un des pires dédales jamais conçus. La mort guette à chaque coin si on a le malheur d’y mettre les pieds sans une source lumineuse qu’il faudra recharger à toutes les trois cases. Et ce à condition de trouver le moyen de faire le plein entre chaque tableau. La roulette russe de Sierra à son meilleur!

Ensuite, Kyrandia déçoit avec ses impasses et son manque de déduction. Le palais royal où Brandon devra confronter Malcolm est un point de non-retour, ce qui signifie que si un bidule récupérable dans les lieux précédents vous manque, les carottes sont cuites. À cela s’ajoute des énigmes aux indices inexistants et qui comptent uniquement sur vos connaissances générales pour passer au travers (j’espère que vous avez suivi des cours de solfège). La lassitude et la consternation sont omniprésentes, de sorte que même les puzzles les plus élémentaires finissent par devenir une corvée à résoudre.

L’amulette constitue l’un des rares points positifs de cette niaiserie et confère à Brandon quelques pouvoirs magiques dont les facultés sont facilement identifiables (à l’exception d’un sort de dissipation mal expliqué). Un baume bien mince pour des plaies aussi béantes.

Coincé entre la bonhommie de LucasArts et le design impitoyable de Sierra, Fables & Fiends ne réussit ni à atteindre la hauteur du premier ni à effacer les lacunes du deuxième. Brandon lui-même est un personnage affreusement beige qui mérite une bonne paire de claque. Une quête du héros qui nous prend vraiment pour des valises.

Book Two – Hand of Fate

Après les régicides, c’est l’environnement qui en prend pour son grade. Kyrandia disparaît petit à petit. Pourquoi? Comment? À quelle heure? Les Mystics sont confus. Après plusieurs analyses, délibérations et cafés au beignet, un plan est mis en œuvre : rejoindre le centre de la Terre afin d’y récupérer une ancre magique. Et c’est l’alchimiste Zanthia qui s’y colle! Elle n’avait qu’à ne pas être la plus jeune membre.

Mais quelle amélioration!

Quasiment tous les problèmes rencontrés dans Fables & Fiends s’évanouissent dans Hand of Fate : inventaire décuplé, disparition des impasses et pas le moindre couloir tentaculaire en vue.

Attention! Le jeu demeure la chasse gardée de l’aventurier saisonnier. Ce deuxième chapitre est friand de calembours et n’hésitera pas à tester votre matière grise comme il se doit. Novices, s’abstenir!

Avec un virage foncièrement ancré vers une caricature fantastique à la Discworld, Hand of Fate remplacera l’amulette par un livre de sorts et un chaudron magique. C’est ici que les jeux de mots entrent en scène puisque les ingrédients nécessaires à la préparation des diverses potions ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Il faudra user de son imagination pour comprendre les sous-entendus dissimulés entre les syllabes. 

Par conséquent, la difficulté est considérable, mais l’amélioration de la conception des niveaux contribue à donner un second souffle à l’exploration (cruellement médiocre dans Fables & Fiends). Les endroits visités sont extrêmement variés et transitionner entre ceux-ci réinitialise l’inventaire, éliminant d’emblée la crainte d’avoir oublié une babiole importante. En principe, la durée est similaire à celle du premier opus, mais la magie opère tellement bien qu’elle chasse les maux de tête et invite le calme lors des phases de concentration.

L’héroïne par ailleurs est l’une des meilleurs du genre. Espiègle et possédant un excellent sens de la répartie, Zanthia est l’un des rares personnages féminins à ne pas se prendre au sérieux et sur qui les blagues cartoon fonctionnent sans fausse note. Elle a de surcroît accès à une très impressionnante collection de vêtements. 

Épisode au scénario bien dosé, Hand of Fate est la quintessence du jeu d’aventure à la réflexion cérébrale qui évite les entorses de justesse avec son humour à la fine pointe de la technologie. C’est le retour à ce petit plaisir que l’on ressent à la découverte d’un trésor issu d’un temps révolu et qui cache encore bien des surprises en son ventre.

Book Three – Malcolm’s Revenge

Un plaisir, hélas, à l’éphémérité flagrante. À peine les séquelles atténuées, les voilà qui refont surface sans crier gare. Dites rebonjour à l’intuition foireuse et aux essais-erreurs sans queue ni tête.

Le chapitre ultime de Kyrandia ramène le vil Malcolm au devant de la scène en tant que protagoniste. Jouer avec le méchant? Avec la possibilité de mentir et de feindre la gentillesse pour exercer sa vengeance? Oui s’il vous plaît!

Sauf que Malcolm a quelque peu retourné sa veste. En effet, il semblerait que notre Joker vidéoludique ne soit finalement pas le monstre décrit dans Fables & Fiends. Ce qui contredit quelque peu (voire beaucoup) le fil narratif, mais les développeurs tenaient manifestement mordicus à jouer la carte de l’antihéros. C’est peine perdue si vous pensiez aller planter une dague entre les deux yeux de cet idiot de Brandon.

Expérience mi-figue mi-raisin, Malcolm’s Revenge jongle avec les compromis. L’inventaire retourne à ses dix cases, mais la transition entre les mondes continue d’éliminer le risque d’impasse. Des éléments RPG s’introduisent également dans la jouabilité. Il existe diverses façons de s’enfuir de Kyrandia, par exemple. Mais, comme dans le premier volet, les indices redeviennent flous et nébuleux. On sent que des barrières ont été ajoutées artificiellement pour rendre la résolution de casse-tête plus compliquée que la normale. On se retrouve donc avec un progrès lent et irritant qui perd rapidement de sa saveur. Et le fait que certains puzzles se réinitialisent après leur dénouement ne relève pas le niveau.

Autre élément RPG : transformer Malcolm en un garnement sournois ou en réformiste au grand (petit) cœur. Cela aurait eu sans doute du mérite si ce choix n’avait pas été introduit sur le tard et qu’il affectait véritablement la réputation du farceur en chef. Une mécanique particulièrement superflue.

Brandon avait son amulette. Zanthia, son kit d’alchimiste. Malcolm, lui, vient avec sa marotte qu’il utilise pour faire rire les PNJ, ce qui peut être utile pour soudoyer le bon peuple. Mais peu importe le nombre d’esclaffements, ils ne sauveront pas le jeu de sa misère. Le rythme avance à pas de tortue, à la manière d’un fastidieux exercice bureaucratique. On s’emmerde, on dort, on déprime. Même Malcolm n’a pas la voix assez charismatique pour enclencher les zygomatiques.

Malcolm’s Revenge introduit deux nouveautés sonores : un rire public qui se déclenche dès que notre bouffon national ouvre la bouche. On aura tôt fait d’aller le désactiver tellement il porte sur les nerfs. Le deuxième est un mode hélium qui change le timbre des voix des personnages. Une petite sucrerie qui permet de mieux digérer la banalité de cet épisode. 

D’autant plus que visuellement, c’est moche : la fièvre de la 3D a poussé les développeurs à créer des décors hyper compressés avec des arrières plans vides et sans vie. On est loin de la beauté multicolore de Hand of Fate

Reste le générique de fin qui sauve légèrement la mise en présentant l’équipe derrière la création de Malcolm’s Revenge de façon humoristique. On applaudira leurs efforts en dépit de la déception évidente qui habite cette chute de rideau.

Ainsi se conclut The Legend of Kyrandia : un repas copieux précédé par une entrée sans assaisonnement et un dessert périmé. Sa seule constance : la magnifique trame sonore de Frank Klepacki qui nous accompagne dans les rires autant que dans les pleurs sans perdre de sa superbe. Quant à Westwood, le studio renouera une dernière fois avec le pointer-cliquer via la série Lands of Lore dont le premier titre a été couvert dans ces pages quelques semaines auparavant. De beaux efforts malgré tout…

Un tenue pour chaque paysage…
…et chaque saison

Un commentaire

  1. […] 1997 aura été une bonne année pour les adaptations de licences. La venue seule de GoldenEye aura permis de chambouler le paysage des jeux de tir sur console. La mouture vidéoludique de Blade Runner en pointer-cliquer ne va pas aussi loin, mais les idées y pullulent. Une aventure gracieuseté de Westwood Studios qui avait déjà fait ses preuves dans le genre avec Lands of Lore et la trilogie Kyrandia. […]

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