Le bof, le bon et le mouais de Jacques Demy

Jacques Demy, autre sommité de la Nouvelle Vague française, est surtout reconnu pour ses films chantés comme Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort et Chambre en ville. Toutefois, celui qui fut le compagnon de la réalisatrice Agnès Varda a également sous sa ceinture des films plus conventionnels. La qualité est-elle au rendez-vous? Parfois oui. Quand on a envie de la chercher…

Lola

Pauvre Roland! Artiste dans l’âme, il erre le long des quais de Nantes, indécis quant à son avenir. C’est sans tristesse ni joie qu’il accepte son renvoi du journal local. Qu’à cela ne tienne! Un médecin louche l’engage pour livrer une mystérieuse serviette en Afrique du Sud. Peu importe! L’essentiel, c’est de quitter ce trou côtier au plus vite. Mais pas avant de dîner avec la charmante Madame Desnoyers et sa fille.

Ailleurs, Cécile, de son nom de scène Lola, est danseuse de cabaret. Chargée de distraire les marins américains de l’après-guerre, elle se lie « d’amitié » avec Frankie, un amerloque qui aimerait bien l’épouser. Mais Cécile-Lola, tel Pénélope tissant sa toile attendant en vain le retour d’Ulysse, n’a d’amour que pour Michel, père de son fils Yvon et qui a disparu après la naissance de ce dernier. Malgré le poids de mère monoparentale et les clients trop insistants, l’espoir continue de nourrir son moral.

Les chemins de Roland et Cécile-Lola finissent par se croiser. Comme le hasard fait bien les choses, les deux s’avèrent être de vieux amis d’enfance. Elle lui parle de son travail, lui de sa perdition. Film français oblige, le feu passionnel d’autrefois revient au galop.

Bâti comme une pièce de théâtre, Lola est une tranche-de-vie ennuyeuse sauvée par le décor rêveur d’un bord de mer nantais. L’acteur Marc Michel dans le rôle de Roland joue bien les gentleman et Anouk Aimée rend la naïveté de Cécile-Lola presque supportable en dépit de l’insistance romanesque de l’intrigue. Les qualités scénaristiques sont de l’ordre du standard, compensées par un certain ton sincère qui permet qu’on accepte les emmerdes de tout ce petit monde même si paradoxalement on s’en fout un peu. Outre Roland et Cécile-Lola, on appréciera la classe de Mme Desnoyers et le sens de la répartie de sa fille qui partagera une relation pour le moins unique avec Frankie l’Américain; le genre de camaraderie qui fait lever le sourcil de nos jours.

Les occasions de louper le visionnage de Lola sont nombreuses, mais s’il venait à passer sur votre petite lucarne, son soupçon de cynisme charismatique permettra de rendre son existence un peu moins indigeste.

Peau d’Âne

Sentant la fibre Disney monter en lui, Jacques Demy décide de s’attaquer à la réalisation de Peau d’Âne. Tiré du conte éponyme de Charles Perrault, l’histoire est celle d’une princesse qui se déguise avec la peau d’un bourriquet pour fuir le roi son père, désireux de l’épouser.

Ne lésinant pas sur les moyens, Jacques Demy met le paquet sur le visuel : robes du temps, chansonnettes, effets spéciaux à la Bewitched. N’eut été de la langue, l’illusion d’être en face d’un Disney Live Action aurait été probante. Catherine Deneuve en tant que princesse brille de mille feux et Jean Marais livre un roi théâtral et aimant malgré le thème de l’inceste. Jacques Perrin, le prince qui épousera Peau d’Âne, est pareillement très en forme, surtout pour les chansons. Probablement le meilleur du lot.

Parlant des chansons, elles ont beau avoir été composées par le légendaire Michel Legrand, elles demeurent très courtes et bien qu’elles accompagnent admirablement les scènes et sont fluides avec l’histoire, on n’ira pas jusqu’à les écouter en solo dans son lit (peut-être sous la douche). Côté maquillages et décors, le tout rappelle de façon frappante ce que Hollywood produisait trente ans auparavant avec Wizard of Oz, surtout les chevaux et les servants multicolores. Un visuel donc fort bien réussi. De loin le point fort du film.

Sans doute n’est-il pas surprenant que Disney n’ait jamais touché à Peau d’Âne. Non seulement pour des raisons incestueuses, mais aussi parce que la fin rappelle à l’évidence celle de Cendrillon avec le prince qui invite toutes les filles du royaume pour tester une bague sur leur doigt en guise de pantoufle au pied. À tout le moins, dans son effort d’adaptation, Jacques Demy a réussi à rendre honneur au conte sans se voiler la face ni aseptiser le tout au risque de choquer les pères et mères de bonne famille.

On a cependant un peu de difficulté à être convaincu par le déguisement de souillon de Peau d’Âne. On veut bien croire que sa peau proverbiale empeste la putréfaction, son visage couvert de deux simples petites taches de suie en font plus une amatrice de cosplay qu’un vrai laideron censé répugner les nobles de la cour. Mais bon! Dans le monde du Technicolor, c’est ce qui se faisait de plus moche je suppose.

À l’abri de producteurs frileux de ne pas attirer le plus large public possible, Jacques Demy réussit dans Peau d’Âne à mélanger le passé, le présent, le réel et l’imaginaire dans un délicieux pot-pourri visuel et auditif.

La baie des Anges

Jeune homme coincé menant une vie tout ce qu’il y a de plus normal, Jean se fait initier par son collègue Caron à la roulette. Très vite, notre bonhomme devient accro au jeu et se paie quelques vacances à Nice où il rencontre Jackie avec qui il développera une complicité dans le casino du coin. Une histoire passionnelle gangrenée par l’appât du gain.

La baie des Anges, c’est Lola avec un peu plus de punch. L’avantage venant de Jeanne Moreau qui resplendit mieux qu’Anouk Aimée dans les rôles des femmes à défaut. De son côté, Claude Mann interprète Jean comme un geek possessif qui se croit maître de ses pulsions. Sinon, La baie des Anges est un petit film assez court qui montre jusqu’où la maladie du jeu peut mener…c’est-à-dire pas très loin.

La chance finit toujours par rebondir et le duo a beau se promettre que chaque partie sera la dernière, l’envie d’y retourner demeure inéluctable, quoique rarement punitive. La musique de Michel Legrand (encore et toujours lui) et le bruit des jetons sur la table attise nos ouïes et nous donne envie de miser à notre tour. Il n’empêche que si les difficultés financières liées à la perte de fonds sont bien présentes, les personnages sont loin de la ruine. La baie des Anges reste avare de misère : acheter une voiture aujourd’hui, perdre le double demain et se retrouver avec la moitié avant la fin. Comme leçon sur le danger du jeu, on a vu mieux.

Qui dit petit budget dit petits moyens ce qui explique un peu la pauvreté de la cinématographie. Les acteurs ont beau être en forme, leur prestance se trouve amoindrie par une image terne et sans vie. La baie des Anges peut se targuer d’avoir un sujet plus substantiel que Lola, mais on sent Demy peu investi dans son désir d’illuminer le vice. Il a opté pour le pari d’une tranche-de-vie timide sans réelle audace contre un vrai développement de fond sur la destruction du jeu. Gageons qu’il aurait pu mieux faire.

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