Tomb Raider I•II•III Remastered

Le dernier grand jeu Tomb Raider remonte à 2018. Cela fait maintenant six ans que Lara Croft n’a pas montré le bout de ses son nez. Certes, les amoureux du téléphone ont pu se rabattre sur Tomb Raider Reloaded et une série Netflix est présentement en cours de production. Mais c’est peu pour satisfaire les désirs de continuité d’une franchise qui, à l’instar de Fallout, a transcendé les époques et s’est renouvelée au gré des humeurs de tout un chacun.

Fort heureusement, l’ère dans laquelle nous baignons est propice aux remaster, remake, reboot et autres anglicismes non pluralisés et désireux de remettre au goût du jour les vestiges du passé. C’est le cas des trois premiers Tomb Raider développés par Core Design entre 1996 et 1998. L’occasion de revisiter des classiques, d’analyser leurs forces et leurs faiblesses, et de déterminer ce que la nouvelle couche de peinture a dans le ventre.

La naissance d’une icône

Le premier Tomb Raider fait partie de l’histoire. Qu’on le veuille ou non, la naissance de Lara Croft constitue un moment charnière dans le monde interactif. Le personnage divise autant par son physique généreux que par sa bravoure à surmonter les obstacles. Et les années à venir confronteront son évolution avec le sous-texte colonialiste qui habite une portion de ses aventures.

Mais tout cela, c’est du futur. En 1996, Tomb Raider avait surtout comme objectif de rendre hommage au genre pulp qui foisonnait dans bien des bandes dessinées telles que Les chroniques de l’ère Xenozoïque. Partir à la recherche d’une relique, canarder une faune (et une population locale) avide de chair fraîche, éviter les pièges camouflés derrière un mur. Le tout sans perdre ses lunettes fumées. Ça ne prend pas la tête à Indiana Jones pour savoir comment ça fonctionne.

Le succès de ce premier titre ne repose pas uniquement sur un personnage féminin sulfureux se dressant fièrement, tête haute, dans un océan de machos virils (même si les produits dérivés tenteront de nous convaincre du contraire). Il le doit aussi à du level design méticuleusement bien mis en place. L’exploration est un élément clé afin de dénicher armes et soins nécessaires à la survie dans une cité perdue. Et généralement, Tomb Raider est très bon pour dicter le chemin sans tenir l’exploratrice en laisse.

Une carte postale pour PETA

C’est une force importante puisqu’elle s’inscrit dans le langage vidéoludique : l’interactivité donne le ton à l’histoire tandis que les séquences cinématiques servent de support pour affûter les détails importants et marquer les transitions. D’autres jeux tels que Thief et Dark Souls continueront sur cette lancée et rencontreront un succès inestimable avec cette formule si rarement utilisée dans les grosses productions modernes.

Les points négatifs principaux se limitent à deux éléments. Les leviers ne donnent pas toujours une indication claire de ce qu’ils activent. Chez Core Design, on part du principe que le joueur va d’abord bien analyser et explorer un endroit avant de se mettre à traficoter avec tout ce qui est interactif (une philosophie presque déplumée de nos jours). De ce fait, les puzzles ne se limitent pas simplement à pousser le bon bloc sous la bonne case, mais à s’improviser éclaireur et ne pas foncer tête baissée vers une cible quelconque. 

L’autre élément, plus capricieux, est la caméra. À l’instar du premier Resident Evil, Tomb Raider a popularisé les tank controls. Cela dit, Capcom avait opté pour des plans fixes. De sorte que le joueur n’avait qu’à se soucier de contrôler le personnage. Tomb Raider offre une caméra plus dynamique qui suit Lara, mais qui préfère garder en tout temps une vue d’ensemble sur la jeune femme, rendant le risque de certains parcours d’escalade difficiles à jauger. Idem pour le combat dans lequel la caméra préfèrera les confrontations dans les grands espaces. Coincée entre quatre murs, elle tend à perdre le nord tandis que Lara se démène avec deux ou trois panthères. Cette imperfection est atténuée en offrant une option de changement de vue temporaire attitrée à une touche, mais dans le feu de l’action ça fait beaucoup à gérer.

On pourrait aussi ajouter une redondance à affronter les mêmes ennemis, particulièrement vers la deuxième moitié du jeu (ainsi que dans le DLC), mais cela dépendra des goûts et des couleurs.

Le DLC du premier Tomb Raider offre quand même le meilleur niveau de l’Atlantide même si la fatigue visuelle est bien installée depuis un moment

Quant aux tank controls, c’est une question générationnelle. Pour les vieux de la vieille, c’est comme le vélo. Même après trois décennies, on ne perd pas la main. Pour les plus jeunes, la version remaster propose des contrôles modernes comme béquilles. 

Côté visuel, le premier Tomb Raider possède le plus beau rendu, largement attribuable à ses lieux fermés et géométriques. En plus d’un meilleur polissage et d’une plus haute définition, le remaster s’est permis des petites touches de créativité comme l’ajout de quelques morceaux de ciel ici et là. Des défauts persistent dans les séquences cinématiques, mais rien de bien grave pour gâcher l’ambiance. Et bien sûr, la possibilité de changer entre les vieux et nouveaux graphismes à volonté est un délice.

Le carburant de la nostalgie

Avant l’avènement des Internets et des réseaux sociaux, il fallait encore se fier aux publications et au bouche-à-oreille afin de dénicher le prochain jeu populaire. Et au moment où le message parvenait aux oreilles concernées, la suite dudit jeu était déjà sur les étagères.

Ceci explique en partie pourquoi la mémoire collective garde de meilleurs souvenirs de Resident Evil 2, Fallout 2 et Tomb Raider 2. Ce sont généralement les premiers à avoir été testés par la majorité des joueurs.

Le deuxième chapitre de Lara Croft s’accompagne bien d’améliorations. Un level design qui voit plus grand et plus beau : le Tibet avec sa blancheur éclatante, l’épave du Maria Doria et son bleu ténébreux, Venise et son calme orangé. Core Design produit ici son meilleur travail avec des niveaux vraiment magnifiques où action et exploration gambadent main dans la main.

Le monastère Barkhang représente ce que le studio a fait de mieux dans les trois premiers jeux

Du reste, l’introduction des échelles et des fusées éclairantes apporte un minimum de variété (surtout pour la luminosité moins statique de ce deuxième opus). Et l’apparition des véhicules soulève son lot de défis : le bateau, agréable à utiliser, et la motoneige le skidoo, à apprivoiser avec précaution.

Cependant, les premiers signes de la tempête commencent à se manifester. Le succès fulgurant de la licence force l’éditeur Eidos à fouetter ses troupes chez Core Design dans l’optique de sortir un Tomb Raider par an. Trop occupée à ajouter des nouveautés, l’équipe n’a pas le temps de peaufiner les défauts du premier jeu. Et donc, les problèmes liés à la caméra et aux leviers susmentionnés demeurent intacts. Avec les échelles, c’est même pire sur les sections exigeant une roulade en arrière (parfois affublée d’un retournement dans les airs) sans que l’on sache précisément ce qui se trouve de l’autre côté. Magnanime, Tomb Raider 2 essaie de minimiser ces écueils autant que possible.

La synergie entre level design et scénario prend également du plomb dans l’aile. Les cinématiques produisent de jolies scènes d’action et d’explosion, mais ne vont pas plus loin pour développer l’antagoniste, très effacé et distant. On ne demande pas d’avoir le méchant du siècle, mais par rapport au premier Tomb Raider, on se demande si c’était nécessaire d’en avoir un.

Le remaster présente ici ses premières lacunes. Étant donné que la moitié des niveaux sont situés à l’extérieur, il devient difficile pour les nouveaux graphismes de nous faire croire que certains endroits ne sont pas des lieux de tournage avec un arrière-plan en 2D. Mais le plus dommage, c’est l’apparition de murs invisibles due à une texture non convertie dans le nouveau moteur. Un dernier tour de vis s’impose…

Ces faiblesses sont compensées ailleurs où l’ajout de décors et de couleurs supplémentaires viennent meubler davantage la personnalité d’un niveau, voire carrément la transformer.

Tomb Raider 2 fait honneur à son prédécesseur. Belle ambiance aux inconvénients assez discrets, cette suite fait bonne figure de bras droit. Elle a aussi l’avantage de venir accompagnée du DLC le plus créatif et le plus joli.

Un exemple de contraste entre la nouvelle et l’ancienne version – un milieu marin habité et éclairé VS une profondeur océanique désolée et plongée dans la noirceur

Le début de la fin

Tomb Raider 3 est ce que les grands poètes et philosophes qualifieraient de « Bi-atch ».

C’est ici que l’équipe Core Design semble avoir atteint le point culminant de son ras-le-bol à sortir un Tomb Raider par année. Ce troisième titre n’offre aucune grâce et encore moins de quartier. Les pièges se veulent plus mortels et plus sournois. Les ennemis n’hésitent pas à vous dégommer une dernière balle avant de crever. Et il devient de plus en plus difficile de discerner le sol sur lequel Lara peut atterrir sans glisser dans le vide.

Il ne sera donc pas surprenant d’apprendre que les mêmes problèmes susmentionnés persistent. Avec une difficulté plus accrue, la caméra devient de plus en plus désobéissante. Et les leviers qui actionnent on-ne-sait-trop-quoi sont légion. Côté véhicule, c’est la misère. Si conduire un canot pneumatique en dessous du zéro degré est supportable, les promenades en kayak et les courses en quad auront tôt fait d’achever l’appétit pour les émotions fortes.

La liaison entre level design et histoire a presque complètement été évacuée. Tomb Raider 3 a des allures de Frankenstein où on sent que les développeurs sont allés fouiller dans la corbeille afin de ressortir trois ou quatre idées abandonnées par le passé. C’est quand même un petit miracle que le résultat se tienne malgré tout sur ses deux pieds. Le jeu réussit à intégrer plusieurs courts métrages sous un grand chapiteau. Ils ont beau être répétitifs et illogiques sur le plan narratif, le joueur sera trop occupé à survivre pour se soucier du pourquoi du comment.

Les fameux cristaux qui servaient de point de sauvegarde sur les versions consoles de l’époque sont relégués à des objets de collection. Hommage à la difficulté spécifique de cet opus

Chaque région visitée vient avec sa propre signature graphique et la possibilité de choisir l’ordre d’une partie des destinations est bienvenue (une première et une dernière dans la saga). Les excursions les plus exotiques sont forcément les plus intéressantes même si le rendu des arbres laisse franchement à désirer. Les lieux plus urbains sont hélas au mieux quelconques, au pire à la ramasse avec beaucoup de va-et-vient et d’escalades monotones.

Lara Croft, c’est connu, est une je-men-foutiste de première classe. Son dada, c’est de partir à l’aventure, zigouiller tout ce qui bouge et accrocher une relique dans son manoir. Et Tomb Raider 3 va à fond dans ce concept. Pourquoi aller risquer sa vie dans une jungle à l’autre bout du monde alors qu’il est si simple d’entrer dans un musée de Londres par effraction et de trucider des compatriotes faisant leur ronde à trois heures du matin? On ne peut pas reprocher à notre psychopathe anglaise de manquer de consistance…

Ce troisième volet est celui qui fait le plus évoluer Lara : elle peut désormais s’accroupir, se balancer, faire du sprint. Ces nouveaux mouvements sont utilisés avec modération et beaucoup de méchanceté.

Le remaster permet maintenant à Lara de faire des roulades quand elle est accroupie. Plus besoin de jouer au camion citerne pour sortir d’un conduit d’aération

Le remaster trébuche beaucoup dans ce chapitre. Tomb Raider 3 a beaucoup de végétation que le nouveau visuel n’arrive pas à rendre plus réaliste, se contentant d’une simple mise au point. Le jeu est aussi friand de noirceur, mais les nouveaux graphismes ont tendance à être moins plongés dans les ténèbres, de sorte que les fusées éclairantes sont presque caduques. Ironiquement, il est plus difficile de voir les boutons et les leviers puisque la révision en haute définition les camoufle mieux.

Les textures oubliées, déjà mentionnées dans Tomb Raider 2, font cruellement défaut ici. Certaines sections, comme dans l’exemple ci-dessous, montrent l’absence de pièges présents dans la mouture originale.

Heureusement, des patchs sont sortis afin d’en corriger la majorité

Le DLC de Tomb Raider 3 n’est pas le meilleur du lot, mais introduit une belle valeur de rejouabilité en construisant des pans de niveaux entiers, cachés via des secrets. Son autodérision vis-à-vis des incohérences scénaristiques de l’aventure principale est également appréciée (si Lara savoure un génocide animal dans la nature, elle en jouit tout aussi bien dans un zoo!)

Tomb Raider Remastered fait plaisir. Un bel effort qui préserve l’héritage d’une série marquante. Et en dépit des incongruités qui habitent chaque opus (en particulier le trois), l’expérience demeure vive et engagée. Que ce soit pour les nostalgiques ou les nouveaux-venus, replonger dans un Tomb Raider classique vaut certainement la chandelle.

Crazy Geek Freak

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